NI L'UN
NI L'AUTRE
MAIS
TOUT ENSEMBLE
FONCTIONS BARTLEBY
BREF TRAITÉ D'INVESTIGATIONS POÉTIQUES
⟶ Un livre publié aux éditions Le Feu Sacré, décembre 2015
Quatrième de couverture, par Alain Jugnon
Il aura fallu un essai écrit comme un poème, donc comme une machine à penser, pour que le lecteur du Bartleby de Melville devienne en personne le créateur d’une immanence, une vie : ce sont les fonctions B. que met en marche Frank Smith dans ce livre.
Il y a dans ce dispositif poétique et politique les affects, les percepts et les concepts qu’il faut préférer (une action) ne pas (une morale).
Cette lecture de Bartleby sera le kit mains libres de nos agencements futurs, un vade mecum pour les multitudes.
Les premières pages ici
Extraits
Je pose la question de la formule et je préférerais ne pas dire « je » mais dire au dehors du dehors. Je préférerais ne pas trancher sur le cas Bartleby car la résolution exclue toute question qui l’aura entrainée. Je préférerais ne pas dire « formule » mais « proposition », la proposition de Bartleby, — de même que je préférerais ne pas dire Bartleby mais « B. » Une position excessive au-devant de la question développée qui la soulève, qui la contient, qui l’arrache, et non formule qui s’infiltrerait partout dans la confusion, le débordement du non-sens, et maintiendrait la question fermée — il n’y a pas point d’interrogation, il n’y a jamais qu’interrogation, une suffisance à poser la question, un mépris à le faire, une arrogance à y mettre l’accent et la soutenir par un point sous le tilde de l’interrogation. Il n’y a jamais qu’interrogation de tout ne pas questionnement. Il n’y a jamais que des actes de positions de problèmes.
Alors comment s’y prendre avec ça, sachant que les modes de circulation, de valorisation, d'appropriation de la formule de B. évoluent à chaque lecture et se modifient à l’intérieur ? Une lecture contemporaine de Bartleby, elle préférerait ne pas faire quoi, ne pas dire quoi ? Les mots de Bartleby dans la bouche qui parle partout ne s’exercent pas comme des excentricités quelconques. C’est un événement qui ne cesse pas de proliférer, qui résiste à toute synthèse fixe. En mélange et variations.
« Frank Smith explique donc pourquoi il lit "Bartleby" de Herman Melville. Et aussitôt la petite bibliothèque qui réunissait déjà les textes de Gilles Deleuze et Giorgio Agamben sur "Bartleby" s'orne d'un chef-d'oeuvre de plus. »
Laurent de Sutter, philosophe
PRESSE
Une approche postmoderne de ce que la poésie propose, espère et ne peut plus espérer.
Le Tiers Livre
Une lecture qui compte, sur Bartleby qui compte, et la méthode ("traité") employée donne énormément à réfléchir sur son propre rapport à la phrase, à la littérature, ce texte va rejoindre la galaxie très restreinte, avec Agamben et Deleuze, des commentateurs de "B."
Frank Smith : la non-préférence créatrice
Cette démonstration, construite sous nos yeux, avec ses allers et ses retours, ses approximations initiales qui s’affinent au fil de la mobilisation d’un arsenal heuristique de toute beauté, établit davantage que bien des essais plus lourds la puissance politique proprement monstrueuse que détiennent poésie et écriture, contre vents et marées.
Une belle manière de renouveler la « mise au point poétique toujours indispensable »
La poésie est-elle une solution ? Entretien avec Amaury da Cunha
Le poème de Frank Smith présuppose que la prose de Melville contient un dispositif poétique, une machine à penser pour faire en sorte que le lecteur du Bartleby de Melville devienne en personne le créateur d’une vie en immanence, d’une vie dotée des affects, percepts et « concepts qu’il faut préférer (une action) ne pas (une éthique) ». Bartleby propose une action éthique. La préférence est une action et « ne pas » renvoie à la formule d’un interdit amené dans l’inclination (ressenti et nourri par l’inclination), un interdit non pas « moral », mais qui donne peut-être un caractère moral actif. La réticence propose donc une action éthique ; elle résulte d’un programme poétique affectif, perceptif et conceptuel (la liaison des trois composent le « caractère » de Bartleby). Elle propose aussi une action dans le langage, d’engagement dans la réticence : une fable éthique qui travaille dans le travail, travaille le langage pour ne pas instrumentaliser le langage. « Bartleby défabule donc/ Bartleby est déconcertant / Bartleby défabule et c’est inextricable » ; il est là et il défabule. La fable qui défabule dit le monde vrai défabulé, et pas celui qui « redevient fable » (Nietzsche). Est-ce que cela ne nous permet pas de nous rencontrer avec lui ?
Un travail avec et contre ses instruments, c’est la poésie. Tenant en même temps à l’action et à la pudeur, le poème est nécessaire pour que cette pudeur affable mais réticente ait lieu (la proposition inverse est tout aussi vraie) et que le langage commun parte ici, comme Bartleby « vers l’intérieur de lui-même c’est possible si c’est possible ». Le poème de F. Smith prend donc Bartleby - l’homme, au mot de l’homme possible : la « proposition-Bartleby » – la proposition de Bartleby interrogeant le rapport de l’homme à la langue. Cette question revient toujours à chaque époque de l’histoire, c’est la question que Bartleby recopie et lègue à chaque époque : question transmise à tous, et toujours en poste restante, lettre transhistorique, car « Bartleby ouvre la voix et est-ce qu’on pourrait ne pas avoir à placer un peuple là. »
Les mots de Bartleby dans les bouches ouvertes, générales (non particulières), ne s’exercent en effet pas comme des excentricités quelconques. Ils disent au contraire un événement qui ne cesse de proliférer en résistant à toute synthèse fixe. En mélange et variations, la réticence de Bartleby travaille contre l’extorcation de la vie et contre les mots d’ordre. De même, le poème n’agit pas pour représenter, pour entrer en adéquation avec une réalité supposée objective, mais pour proposer des effets de réel qui peuvent aussi être des énigmes de réel. Le poème, comme prose syncopée et déviée, relance la vie et la pensée, déplace les enjeux du monde, les fait rebondir ailleurs et autrement. Tout cela part d’une situation que chacun connaît fort bien : de la tension en quête de la justesse d’un propos. Cherchant ses mots si c’est un homme possible, pour dire ce qu’il faudrait dire, ce qu’il a failli dire, ce qu’il faut qu’il dise et qui ne vient pas tout à fait.
Morale provisoire et mimimale de la fable-qui-défabule: au lieu de dire que l’on ne sait pas, ou que l’on ne sait plus quoi dire, on ferait peut-être mieux de continuer à rechercher le poème ainsi défini : « la parole réticente toujours qui relève dit-on d’un dire à côté dit-on aussi d’un dire à peu près d’un dire à demi dit-on encore mais d’un dire quand même pour ainsi dire ».
Eric Dayre
ENS de Lyon
Fonctions Bartleby par François Bon