2 — Batterie Oldenburg (Chemin des Dunes, Calais) :

 

« La mémoire du monde »

 

Dans nos têtes, il y a des continents anciens qui se détachent

Les continents de la terre et les continents de la mer, ils s’accumulent, se séparent

II y a des brisures, des failles, des bombardements de matière

Il y a des corps

Ici ça a été la guerre, ça a été le mur de l’atlantique

— la 3e division d’infanterie canadienne a libéré la batterie Oldenburg le 1er octobre 1944

iI y a des corps, ici

Des corps ont vécu ici

Des corps ont vécu aussi 

Il y a des lignes où l’on marche le long des dunes

Des lignes où l’on avance le long des dunes, dans une lenteur lente

— on recherche une assise

Avec précaution on se déplace

Dans la mémoire des corps enfouis

Dans la terre, dans le sable

 

On pense à des éclats de mémoire 

Quand on marche dans les dunes, entre les bunkers, on ne voit rien

On est aveuglé et on parle de tout voir, de tout devoir

Comme si tout était déjà dit

Comme si on avait la responsabilité des choses

Ce qui se passe ici, ce qui s’est passé 

 

On s’arrête, on est déjà arrêté, c’est arrêté la mémoire, cela n’a pas de forme 

On ne peut jamais revenir sur ses pas

On trace des lignes dans le vert des dunes, dans le vert de la mer, jusqu’au delà

Jusqu’au-delà du détroit, la frontière, là-bas, l’Angleterre 

 

On ne dépose rien, on retire

On fait avec ce qu’on nous a légué  

On est venu pour voir, et on a écouté comment voir

Avec des mots

 

Des flaques de lumière sur une immense surface, la mer et le ciel confondus

C’est la lumière qui part

On est partis

Vers quoi ?

On n’attendra jamais le soleil, le ciel, le dedans du ciel

On marche, la nuit se referme

Ce qu’on a dans les mains, ce sont des coquillages et du sable

 

On parle dans une mémoire

On dit Je préserve tout ce que je fais

Et ça se construit dans le temps

Comme une histoire qui se serait déroulée près d’ici  

L'histoire de tous ces soldats, morts

L’histoire de tous ces jeunes gens, qui jouaient l’été dans le centre aéré

L’histoire de toutes ces traces sur le sable

On nous parle de lumière et je vous parle de corps

On est entourés de sable, on regarde le ciel

On cherche à sortir de ce qu’on nous a dit 

 

Ce sont des lignes de sable —tout est suspendu 

Et le ciel, les lignes de ciel —tout est suspendu

On écoute, la mer ça passe, c’est le mouvement

On ne peut pas marcher face à la lumière 

Une histoire, on ne parle plus, on ne dit plus

Les choses, le vent, la mer, l’histoire du sable

On marque le temps, une histoire de rythme

On ne regarde pas, on sait

 

Il y a des alignement, des morceaux de ferraille 

Des bouts de plastique qui volent, un gilet de sauvetage

Des coquillages qui volent  

Où sont les cris des mots qui ne font même pas une phrase ?

Quelqu’un à nos côtés dit C’est beau

On regarde, on dit quelque chose

Comme s’il y avait encore quelque chose à comprendre 

 

La mer dans un mouvement de vagues, elle sait ce qu’elle fait

Il y a des blocs de vagues dans la mer

On ne peut pas marcher, penser et oublier en même temps

Murmurer un oui et un pas de plus dans la lande

Un pas de plus dans l’histoire, un pas de plus dans les langues

 

Après, tout continue

Il n’y a pas une histoire

Il y a peut-être toutes les histoires 

 

On serait au commencement, des choses, de la vie

On serait au commencement de la mémoire du monde