UN FILM À JAMAIS

 

Un film écrit et réalisé par Frank Smith

Avec Garance Clavel et Julien Monty

Voix Garance Clavel et Frank Smith

Mise en situation chorégraphique : François Laroche-Valière

 

Image et montage : Arnold Pasquier

Mixage : Ivan Gariel

Chargé de production : Thomas Peyres

 

Production Les films du Zigzag, avec l’aide du Centre Pompidou, Paris, 93 min, 2019

 

Première le vendredi 1er février 2019, 20:00, Centre Pompidou, Paris

 

Le Livre Un Film à jamais est publié aux éditions Plaine page.

 

 

 

Un Film à jamais développe l’idée ou plutôt la révélation que quelque chose vient trop tard, et qu’il faut en sortir, non pas vers un extérieur qui attendrait que tout s’y résolve, mais vers un dehors, imprévisible, irrésolu, lunaire. Dans un désert noir, un paysage d’avant ou d’après les hommes, d'avant ou d'après le monde, évoluent deux figures. Cette errance nous révèle que la nature n’est pas le lieu d’une identité ou d’une adéquation à soi, mais l’espacement mouvant du sensible, la variation continue des corps : mouvement persistant du monde dans l’espace. Chaque point de la Terre devient ainsi point de vue : une irréductible multiplicité où les personnages et les formes ne valent plus que comme transformation les uns des autres : je ne suis plus une personne, on est plusieurs. 

 

Un Film à jamais, vu par Barbara Polla
Le 1er février 2019, Frank Smith présentait au Centre Pompidou, dans le cadre de Hors Pistes, son dernier film, Un Film à jamais, qui rejoint la série de ses Films : Le Film des questions, Le Film des visages, Le Film de l’impossible, Le Film du dehors et Les Films du monde – et peut-être un jour Le Film de l’horizon. Cet horizon si présent dans Un Film à jamais qu’il pourrait bien appeler Frank Smith à nous le donner à voir encore.
Comme une rencontre avec Gina Pane alors, Situation idéale : Terre-artiste-ciel. Rencontre entre le trait vertical de l’homme, de la femme, et  la ligne horizontale, de l’horizon. Rencontre avec L’Amour de Marguerite Duras, tandis qu’ « À l’autre bout de la plage, le long de la digue, la marche a repris. » Mais si L’amour de Marguerite Duras aura été l’une des inspirations initiales d’Un Film à jamais, au tout début de la pensée de sa conception, en cours de travail le film s’en est distancié pour devenir totalement « smithien ».
 
Un Film à jamais, réalisé en séquences de durée toutes identiques (de 2’45’’ (durée totale 98’), tournées à Lanzarote puis dans la Baie de la Somme, rejoint, tel un palimpseste, Le Film des questions. Un palimpseste enrichi par les questions que pose Un Film à jamais et par la revivance de la voix de Garance Clavel qui nous questionnait déjà dans Le Film des questions, écho féminin, ici, de la voix de Frank Smith lui-même. Deux voix d’une étoffe similaire, joignant la douceur des inflexions à la radicalité des adresses. On se frotte à la rudesse des plans.
  • ET QUE VOIT-ON EN REGARDANT AINSI À TRAVERS CE LANGAGE ? QUE VOIT-ON AINSI EN PÉNÉTRANT DANS L’ÉPAISSEUR DU MONDE ?
  • C’EST COMME SI LE RÉEL ET L’IMAGINAIRE COURRAIENT L’UN DERRIÈRE L’AUTRE, ALORS ?
Le film s’ouvre sur des images de fin du monde, dans une lumière éblouissante, une fournaise étouffante, le chant affolé des oiseaux et autres fauteurs de sons : allons-nous survivre dans cette épaisseur physique ? La lumière monte, ouvre, montre l’espace qui grandit et nous croyons discerner peu à peu, indiscernable d’abord, une maison peut-être, inhabitée sans doute – qui pourrait habiter là ? – réelle ou imaginaire ? Il faudra revoir le film pour croire savoir… Nous sommes dans une sculpture de lumière, où étouffer en beauté. On regarde longtemps la lumière.
 
PASSER D’UNE PHRASE À UNE AUTRE PHRASE, C’EST TOUJOURS ARRIVER AU LANGAGE, NON ?
La langue comme prison – la langue comme liberté. Pour que la langue-prison devienne langue-liberté,  pour ouvrir une fenêtre dans le réel, s’en échapper et s’y ancrer à la fois, il faut « arriver au langage » – il faut le recréer. C’est ce que tente Frank Smith avec chaque nouvelle parcelle de son œuvre : réinventer le langage. Avec une telle efficacité qu’on peut désormais parler « Frank Smith ». Commencer par remplacer je, nous ils, par on. Remplacer tous les points par des interrogations. Écouter la musique de la voix. Ouvrir de nouvelles fenêtres : traverser la montagne plutôt de la surmonter.
UNE QUESTION COMME UNE MONTAGNE À̀ SURMONTER : QUOI ENCORE, QUOI ICI ENCORE, QUOI MAINTENANT ICI ENCORE ?
 
Cela ne fait désormais plus aucun doute : Frank Smith a inventé Frank Smith, le langage de Frank Smith, un langage de mots et d’images, un nouveau langage, une nouvelle « languimage », que l’on peut apprendre, reprendre, comprendre. Le film le dit : IL FAUT REPRENDRE, IL FAUT RECOMMENCER. Il faut fonder tout ce qui n’existe pas encore. Frank Smith a accouché de Frank Smith, dans le bruit du vent et des vagues, le vent qui bat le monde.
CE N’EST PAS LA POÉSIE QUI FAIT LA POÉSIE, nous dit encore Garance Clavel. C’est Frank Smith qui fait la poésie. LA FORCE DU DÉSIR, OUI.
POUR POUVOIR RECOMMENCER, QU’IL RENAISSE DE LUI, L’HUMAIN, SI VOUS VOULEZ.

 

 

UN FILM À JAMAIS

 

 

Note d’intention

 

 

 

ENVOI 

 

Parler, c’est hériter des paroles de l’autre, et c’est aussi savoir qu’aucune de mes paroles ne peuvent achever le monde, qu’il n’y a pas de parole ultime, et que la parole n’est pas l’expression seulement d’une signification toute constituée, mais, au contraire, l’ouverture à une action d’exprimer à venir, elle-même cependant jamais advenue. 

S’il est vrai que savoir peut nous aider à sortir du monde tel qu’il court à sa perte, à sortir de la perte du monde, et s’il est vrai que savoir c’est entrelacer deux formes, c’est-à-dire joindre le visible et l’énonçable, comment alors est-il possible de les consolider pour sortir du monde ? Comment est-ce possible, une fois dit que ces deux formes, voir et parler, sont hétérogènes et non-communicantes ?

 

 

PLOT 

 

Un film au format carré, où alternent : 

— un dialogue entre deux voix (à lire depuis son inscription au long d’une série de cartons) 

— des images de paysages où se meuvent tantôt deux figures présentes, tantôt l’absence de ces figures. 

 

Dans Un Film à jamais, on se trouve donc ainsi devant deux sortes d’images : l’une vue (des images relayant les déplacements de deux interprètes), et l'autre lue (des intertitres aux lettres blanches sur fond noir). 

L'image visuelle des déserts et des figures doit être lue tout entière et les intertitres ne sont plus que les pointillés d'une couche stratigraphique ou les connexions variables d'une couche à une autre, les passages de l'une à l’autre. On cherche ce qu’on fait là, il n’y a pas encore de rencontre, il n’y a pas encore de rencontre possible entre ce que l’on dit et ce que l’on voit. La rencontre est toujours retardée, à venir, ce n’est pas grave. Car tout se passe dans l’instauration d’une distance vivante entre les deux figures. Un respect, une co-errance, pour refonder, repenser, revoir et reparler. 

 

L’idée est de créer, à l’intérieur de la sphère film, un écart, une vacuole qui redistribue des possibles au cinéma, grâce à un procédé systématique du montage, à un certain type de non-jeu des deux protagonistes-interprètes, à l’usage du texte au lieu de la parole sonore, à la lumière naturelle, au son déplié en lui-même, etc.

 

Et puis il y a la proposition, pleine d’émancipation et de joie, qui est de montrer qu’un autre cinéma est possible, une autre façon de faire du cinéma, hors des complaintes locales et historiques, et c’est là, dans ce qui est véhiculé par le film, que cela existe, un désir de lumière : ces deux personnes ou figures aspirent à se confronter et à se fondre à la lumière totale lumineuse. Donc aux déserts, qui semblent toujours dénués de repères — déserts de masses volcaniques éructées (Lanzarote) versus déserts de sable entre deux eaux ou deux ciels (Le Crotoy). 

 

Car : On n’a pas le visible quand on a déterré la chose, on a le visible quand on voit la terre comme recouvrant quelque chose. Et qu’est-ce qu’elle recouvre, la terre ? Eh bien ce qu’elle recouvre, c’est ce que la parole, de l’autre côté, dit. De l’autre côté. Et c’est parce qu’il y a deux côtés qu’il y a le cycle où ce qui est sous terre s’enfonce de plus en plus pour que la parole le fasse de plus en plus émerger à la lumière.

 

Si l'alternative réels / fictifs est ici si complètement dépassée c'est parce que la caméra au lieu de tailler un présent fictif ou réel, elle rattache constamment les figures à l'avant et à l’après, réunies dans un devenir au lieu de séparer. L’image muette est composée de l'image vue et de l'intertitre qui est lu, la lecture comme seconde fonction de l’œil. Les puissances muettes renvoient aux couches désertes ou lacunaires de notre temps, là où reste enfoui ce qui s'est passé mais qui demeure co-présent à notre histoire : les morts, les guerres, toute une interminable histoire.

 

A la limite, des parcours abstraits recouvrent les fragments multipliés des deux figures en présence, primordiales. La mer, ou surtout l'espace, sont affectés d'une courbure qui s'impose à des trajets presque abstraits. Cinéma de l'intolérable conformément à la définition de la voyance, indissociable de la saisie de puissances muettes, éclatant un usage de la faculté de voir, on ne peut appréhender autrement ces espaces d'avant ou d'après l’humain. Tangeance.

 

La parole survient encore à la fin du film. L'acte de parole s'arrache de tout ce qui relève du pré-établi, du dominant, de tout ce qui résiste au devenir tant qu’il se distingue de l’histoire. L'acte de parole doit par conséquent se mesurer à un système de la majorité qu’il est impossible de ne pas affronter : il se lève finalement.

 

 

PRINCIPE DES DÉPLACEMENTS DES FIGURES

 

Les figures du film forment chacune un sujet nomade, rempli d’une identité plurielle et changeante. Les cartographies qui définissent les trajets de ces figures doivent elles-mêmes être continuellement re-dessinées. La parole et la pensée des figures, elles-mêmes en mouvement, marquent des positions minoritaires qui cherchent à se démarquer des modes de pensée dominants. 

 

On a à la fois une pratique de l’intervalle et de l’interstice qui perçoit les phénomènes en termes de processus, ainsi qu’une série de trajectoires qui dépeignent les sujets comme des êtres multiples et transitoires :

—le cercle et le triangle rectangle dans lequel il s’insère

—l’ogive et le point de rebroussement

—la tangente au cercle ou à l’ogive

 

Les deux figures restent à peine concernées par les événements qui arrivent, qui se raccordent aussi mal que les portions de l'espace quelconque qu’elles parcourent. Elles sont comme absentes au monde autant qu'à elles-mêmes, vidées autant que les espaces qui semblent les avoir englouties. Ces figures sont d’avant ou d’après les hommes, ce sont les figures du dehors, situées dans un pur lointain. Elles ne parlent pas, elles marchent ou se fixent, mobiles, immobiles. Voir n’est pas parler et inversement, si bien que ces figures se meuvent selon un réseau de lignes et se touchent à peine, de même que ce qui est dit au cours de la lecture du texte ne correspond jamais à ce qui est vu à l’écran. Le désert est un océan, les lignes de déplacements des figures sont des lignes océaniques. La caméra vit sa propre vie, indépendante de leurs mouvements, elle veut voir elle aussi mais en est toujours empêchée. Parfois elle tourne sur elle-même tentant de s’échapper de son axe pour embrasser la totalité de ce qu’il y aurait à voir. C'est parce que l'acte de parole est passée ailleurs et a pris son autonomie que l'image visuelle pour son compte découvre une archéologie, c’est-à-dire une lecture qui la concerne tout entière et ne concerne qu’elle. Dissociation des deux puissances qui les renforcent, chacune dans une division du travail entre image de la présentation et voix de la représentation.

 

Un cinéma de révélation où la seule contrainte c'est celle des corps, et la seule logique celle des enchaînements d'attitudes, les personnes se constituant geste à à geste et mot à mot, à mesure que le film avance ils se fabriquent eux-mêmes, le tournage agissant sûr eux comme un révélateur, chaque progrès du film leur permettant un nouveau développement de leur comportement, leur durée propre coïncidant très exactement avec celle du du film.

 

 

Supplément sur le miroir : Suivre la chute des images dans les corps

 

Il fallait sortir des catégories rigides : n’être ni dans l’une ni dans l’autre, ni en haut ni en bas, mais là-bas, indéterminé, sous la forme d’une surface. On pourra par conséquent entendre dans cet écart une direction, un mouvement de sauter qui passe par les bords, mouvement excessif et envahissant. Tracer le mouvement sans aboutir à un terme. 

 

Nous voici donc engagés sur la surface du miroir, accompagnant nos deux protagonistes vers de curieux moments de tangence, le passage d’une surface à l’autre, le mouvement rétro-projeté de leur procession. Un événement de surface.

 

PRESSE

 

art-crique, Fonder tout ce qui n'existe pas encore, par Barbara Polla

Sortir à Paris